Loupiottes

 10.10.23. Lyon. 24 degrés. 22h

L'étoile du berger scintille par-dessus le rebord de mon balcon. Perchée, seule au 7è étage, c'est ici que le chemin de mon rétablissement s’est accéléré ces derniers mois. Retrouver l'horizon, l'espace, les étoiles. Qu'importe que l'appartement soit tout petit, le balcon très étroit. Il y a mon nid ici, ma tour d'ivoire, de contrôle ou de douceur, au choix, ou les trois. 

Quand il y a eu de la place pour être bouleversée à nouveau, j'ai recommencé Sense 8. Depuis le début. Comme prévu, je pleure à chaque épisode, mais j'aime les larmes, j'aime quand elles viennent parce que c'est juste, fort, que ça secoue, en mal pour du bien, en bien tout court. Bref j'ai recommencé Sense 8 depuis le début.  

Et j'ai compris. 

Dans cette série ils sont 8. Au 4 coins du monde. Et pourtant ils se connaissent. Intimement. Ils se comprennent. Ils sont connectés. Par-delà la distance, les océans, l'adversité. Ils sont ensemble pour le pire mais aussi toutes les paillettes du meilleur. Même les plus petites miettes même celles qui ne sont que des souvenirs, des chimères. La poussière de moments doux ou heureux qui s'accrochent à la peau des uns et des autres. Se rappeler pour ceux qui ne peuvent pas, qui ne veulent pas, qui ne sont pas prêts, pour qui ça fait encore trop mal. 

Ils peuvent regarder le ciel en même temps. Quand la nuit réunit ceux qui sont sur les mêmes fuseaux horaires, ils voient la même chose, les mêmes étoiles.  Ce qui leur fait mal, les uns aux autres, ce qui leur fait du bien. A chaque nouvel épisode l'impression de déjà vu est plus forte. Moi aussi je connais ça. Je connais ce mélange de proximité infinie, d'intimité absolue, même à des centaines de km. Je navigue dans l'incertitude au travail, dans la vie de tous les jours, mais je mesure la gratitude de connaître cette certitude là. Que c'est possible d'être infiniment intimes, même à 600, 800km, même en ne se voyant jamais ou quelques heures tous les deux ou trois ans, sans se voir, se toucher, se chauffer, se croiser du regard. Infiniment. Intimes. 

Florence est devenu ma grande sœur, George mon filleul. Même si on a du ne se voir que 10 jours en 12 ans.  Ici on n'est pas juste 8, je ne sais pas combien nous sommes dans ce cercle, dans mon cercle. Certains sont passés vite. D'autres sont restés. D'autres se sont révélés. Ici il y a toujours eu quelqu'un.e qui savait. Le pire de moi, le plus noir, le plus dur. Et qui restait, qui ne voyait pas en quoi c'était des motifs de désamour tout ça. J'ai été tenue et j'ai tenu. J'ai puisé dans vos ressources quand les miennes me manquaient. Et j'ai tenu fort, solide, dans vos tempêtes, dans celles qui voulaient vous briser. Je me suis découverte tenace, coriace, quand il s'agissait de vous défendre, de vous empêcher de ne broyer que du noir. J'ai puisé dans vos errances pour raccourcir les miennes, j'ai tendu la main quand mon bras a été de nouveau assez solide pour tenir et je me suis sentie solide comme jamais l'incertitude ne m'aurait permis de l'imaginer. On a ri à en pleurer. On a aimé à en crever. On s'est trouvé, retrouvés. On s'est compris. On s'est engueulés aussi, pas souvent, mais parfois, et on s'est rabibochés.

On s'est serrés si fort dans les bras, tant de fois, des corps, des regards que je n'avais jamais croisés et pourtant l'étreinte était sincère, évidente. Il n’y a qu’ici qu’on peut vivre, ressentir quelque chose comme ça.  On s'est senti moins seul.e.s si souvent de se savoir là les uns pour les autres. C'est ce qu'ils vivent dans Sense8 aussi. Parfois leur lien devient plus charnel. J'ai beaucoup critiqué ces scènes de sexe à plusieurs la première fois, je trouvais ça intimidant, inutile. Aujourd'hui j'ai du mal à ne pas voir le lien avec ce qu'on a vécu, malgré tout. Parce que bon, avouons, ma tête en a déshabillé certain.e.s, plusieurs personnes ou plusieurs fois et je devine, j’ai su, que l’inverse se produisait aussi. Certain.e.s se sont déshabillé.e.s pour de vrai, sous mes yeux, sous mes doigts. Ce fut Intense. Bouleversant. Et ça l'était aussi même quand ça n’a pas dépassé le stade des "et si" même quand c'était juste des chimères, les revoilà les chimères, même quand c'était juste dans ma tête parce que même dans ma tête ça avait le goût de leurs peaux là. L'amour dans le cercle c'est le pire des narcissismes que dit Ysra dans la série, si c'est ça le pire, j’achète.  

Avec certaines je comptais les autres meufs dans la queue à l'hôpital. On a saigné ensemble. On a hurlé en silence sur nos ventres hostiles et on a partagé le manque. L'absence. Le vide. La haine de celles qui y parvenaient. On connaissait nos cycles par coeur, on surveillait les messages, on comptait les jours et on comptait nos cicatrices. Et puis à l'automne 2019, j'ai commencé à allumer des cierges. Le premier c'était dans l'église Sint Niklaas d'Amsterdam. Au début ils brûlaient pour elle, la reine des paillettes, pour le coeur déchiré de son papa, puis pour elleS (Camille, Nell, Pernelle, Manuela, Fiocree) et puis pour eux (c’est encore trop dur d’écrire leurs prénoms). Ils ont commencé à brûler pour moi pour son absence à lui, pour mes paillettes à moi, pour la parentalité qui avait colonisé mon coeur, donné du sens à ma vie, qui m'a été arrachée et bizarrement ça faisait moins mal devant une flamme. Le même ciel les mêmes étoiles. 

Ils sont partis tisser des liens dans les étoiles. Tricoter des ponts entre nous et le ciel et nous les traversons à chaque fois qu'elle ne veut pas dormir. C'est ce qu'on pourrait dire aux enfants pour mettre de la douceur dans l'impensable, je ne vois pas pourquoi on ne s'accorderait pas nous aussi cette douceur.

Don't worry, Life is easy...

Ce n'est pas vraiment vrai, c'est la chanson que je chantonne quand ça ne va pas, quand l'émotion est trop forte. C'est celle que je mets quand j'ai besoin de m'asseoir par terre dans un coin, dans le noir ou sous un ciel étoilé. Elle donne un rythme à mon coeur pour qu'il continue de battre même si est chaviré, même s'il est bouleversé, même s'il fait mal. Non la vie n’est pas facile. Non ça n’a pas de sens de dire à quelqu’un de ne pas s’inquiéter. Mais… 


Come on dance around

Shine up on the ground

For me, to you

Don't you know I'm strong

I could win the world 

For you

Don't you ever cry 

I would stop breathing for you


Ça c’est vrai. 



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