Et vous ?

« Et vous, comment allez-vous ? »

« Oh elle va bien, elle est un peu agitée mais ça va »
« Bah vous savez, avec son cancer… »

L’autre. Toujours l’autre. Celui qui est Malade. Je sais. Je sais combien c’est dur d’être celui qui accompagne. Mon ton est doux, sincère. Je sais combien la maladie peut prendre toute la place. Je vois la souffrance dans leur regard, cette douleur de l’autre qui ne vous reconnaît plus, de l’autre à qui on donne tout mais qui n’en guérit pas pour autant. Je veux leur donner de la place. Un instant, le droit d’exister, de respirer, de dire que c’est dur. J’essaie.

« Oui mais vous, madame, comment allez-vous ? »

« Oh moi ? Mais moi ça va. C’est pas moi qui suis malade ».

Toujours. Ces regards étonnés. Cette façon systématique de me repousser.  Pourquoi m’inquiéterai-je de leur état à eux. Les malades sont leurs autres. Eux n’ont pas de raison d’aller mal.

Ils n’ont pas mal eux. Ils ne sont pas perdus, confus, désorientés, mourants, déchus de toute dignité.
La douleur, ils la regardent détruire pas à pas cet autre qu’ils aiment tant. Cet autre qui a fait la pluie et le beau temps dans leur sourire toutes ces années durant. Cet autre qui n’est, le plus souvent, qu’une ombre aux sourcils froncés, aux mâchoires serrées sur cette souffrance qui prend toute la place.

C’est ça être aidant ? Aider l’autre ? Tout le temps ? Au point de n’être plus personne que celui qui aide ? Celui à qui on demande au téléphone si ça va, vite fait, avant de demander comment va l’autre ? Parce que c’est le « pas trop pire » de l’autre qui peut nous rendre heureux, un peu, et puis de toute façon, moi je dis toujours que ça va.

Ils font de leur mieux. Faire la vaisselle, préparer des bons petits plats, poser une main douce au creux d’un bras, dire « je t’aime », « courage », « je suis fièr(e) de toi », une fois, dix fois, cent fois. Repasser les draps pour adoucir la nuit, faire de la mousse au chocolat.

Ces millions de petites choses qu’on peut faire fait quand on aime, parce que quand on aime, on ne compte pas et puis qu’on n’est pas malade nous, alors on ne SE compte pas et on peut bien les repasser ces foutus draps.

Proposer un bain chaud, un massage, des framboises avec la mousse au chocolat. Un doliprane, un ibuprofène, des granules d’arnica, un strip-tease aussi des fois.

Mais cette pute, jamais ne cède, cette douleur, ils la haïssent. Je la hais.

Et l’autre, celui qui est malade ? Cette femme qui angoisse sans cesse de ne plus reconnaître les gens qui l’entourent, de chercher en vain une maison qui n’existe plus ? Cette autre qui souffre sans répit, jour, nuit, qui s’est habituée à n’être jamais confortable dans aucune position et qui se résigne de voir son mari, fou d’elle, devenir fou de ne pouvoir l’aider plus ?

Il faudrait respirer pour deux. Tout en ne cessant d’éteindre le feu qui devait nous rendre vivant. Ce besoin de toucher, d’étreindre une âme sœur qui souffre trop pour recevoir de la tendresse.

Mince, j’ai déjà fait de la mousse au chocolat hier.

Je vous cuisine quoi ?









Commentaires

Babeth a dit…
Et puis, parfois, une balade en forêt, un repas au jardin, une après-midi à refaire le monde, ça fait autant de bien qu'un atelier pâtisserie ;-)
doucebarbare a dit…
Votre texte est tellement beau...
"qui se résigne de voir son mari, fou d’elle, devenir fou de ne pouvoir l’aider plus", on peut le décliner à toutes les sauces, à tous les gens qui nous aiment et nous aident parfois toujours.
Merci c'est tellement vrai et c'est tellement douloureux de voir que l'autre souffre pour nous et de savoir qu'en faites à part aller vivre dans une grotte on ne peut rien y faire.