Règlement de comptes

J’aimerais savoir. J’aimerais comprendre.
Ce qui s’est passé dans ta tête à toi quand tu lui as dit cette horreur.

Tu as voulu la rassurer peut-être ?
Faire la conversation ?

Cette dame, elle ne peut pas se lever. Elle est arrivée là, il y a des jours. On ne lui a probablement pas dit grand-chose. Ce qu’elle sait, elle, c’est qu’elle n’arrive plus à marcher. Que quand elle se tient debout, à gauche, son corps s’effondre. Sans qu’elle ne puisse rien y faire. 

Ce qu’elle sait, cette dame, c’est qu’elle ne peut plus tenir sa fourchette. Ça fait quelques jours déjà et ça ne progresse pas alors ça l’inquiète.  Son mari n’est pas du genre dégourdi et avec sa maladie ce n’était déjà pas bien drôle alors là…

Le médecin des urgences l’a regardée rapidement. Le médecin du service aussi. Elle n’a pas vu de kinésithérapeute. Forcément elle est arrivée peu avant le week-end et y a eu un jour férié alors… Les filles grommellent quand elle demande à aller aux toilettes. Elle les comprend, les pauvres, elles ont du boulot, elle ne cesse de les embêter et elle tellement de mal à marcher.

Son mari a crié que c’était du grand n’importe quoi alors on lui a amené une paire de cannes pour l’aider. Personne ne lui a montré comment s’en servir. Même que deux jours après, quelqu’un est venu les chercher pour « un patient qui en avait plus besoin ».

Elle voudrait marcher un peu mais n’ose pas. Elle est tombée en voulant aller seule aux toilettes le premier jour. Elle a crié, un peu, pour qu’on vienne l’aider. Elle n’était même pas debout qu’on lui disait qu’il allait falloir arrêter les bêtises, qu’ils n’avaient pas que ça à faire et qu’ils lui sauraient gré de bien vouloir crier moins fort parce qu’elle n’est pas seule ici.

Elle a bien vu le regard de son mari quand il est passé devant le bassin plein d’urine. Posé négligemment sur un tabouret à côté du lit. Elle a appelé pour le vider mais personne n’est venu. Alors elle s’est contorsionnée pour le réutiliser. Maintenant, il est bien plein. La honte lui a envahi les joues quand elle l’a vu s’en saisir avec bout de papier et s’en charger. Elle a pleuré.

Une infirmière, toi, est passée quelques heures après.

Tu lui as donné les cachets. Tu lui as vaguement demandé comment elle allait. Tu as été déçue de voir que manifestement elle avait quelque chose à dire. Elle t’a confié son inquiétude. Elle t’as dit qu’elle n’était pourtant pas feignante mais que malgré tous ses efforts, elle n’arrivait toujours pas à tenir debout que ça risquait d’être compliqué à la maison etc…

Et là, là, tu as eu ce trait de génie, ce petit grain de folie – oui celui là-même qui nourrit ma rancœur, tu as trouvé de bon ton de répondre :

- Oh mais vous savez, des fois, c’est juste dans la tête hein…

Tu aurais pu t’arrêter là. Ça ne m’aurait pas empêché de vomir mais tu aurais limité le nombre de coups de couteau que tu lui plantais dans le bide. Forcément, avec le tact et la mesure qui te caractérisent, tu as poursuivi :

-  Vous n’avez qu’à faire un peu plus d’efforts, vous verrez…

Et tu l’as laissée là. Le ventre déchiré par la violence de tes bonnes paroles.  Tu es sortie avec l’impression du travail accompli. Sais-tu combien tu l’as blessée ?

Qui es-tu ? Qui es-tu pour juger l’autre alors qu’il est au plus bas ?
Qui es-tu pour te permettre tant de condescendance et de mépris envers elle ?

Tu travailles dur, sans compter les heures, pour une paye de misère, une reconnaissance proche de zéro de la part de CERTAINS patients. Tu as le droit d’être blessée par le monde qui t’entoure. Cela te donne-t-il le droit de blesser ceux qui sont en dessous de toi ? Ceux qui dépendent de toi pour guérir ? Ceux que ton diplôme t’as donné le droit de soigner. D’accompagner.

Faire du mal gratuitement n’a jamais fait partie du diplôme d’aucun soignant. Pourquoi toi ?

Oui parfois c’est dans la tête. Mais ce n’est pas en le balançant brutalement ainsi qu’on le soigne.

Oui cette fois c’était dans la tête.

Elle a 53 ans. Son mari va mourir d’un cancer. Elle a fait une rupture d’anévrysme.

Alors oui elle ne ressemble pas à une patiente cérébrolésée grave. Elle n’est pas incontinente, ne bave pas, n’est pas inerte et nourrie par sonde mais elle a des lésions cérébrales.
C’est marqué sur ta PUTAIN de feuille de transmissions.

Est-ce que quelqu’un a demandé au kiné de venir jeter un œil ?
Est-ce que t’as demandé aux AS comment elle se débrouillait ?
Comment peux-tu croire que si elle est au lit c’est parce qu’elle n’est pas courageuse sans lui parler et pire encore lui faire comprendre ?

Tu n’as aucune excuse.
Dis-moi que t’as honte.

Dis-moi que tu n’es pas allée rire avec tes collègues en disant que t’avais bien raison c’était qu’une feignasse.

Dis-moi que tu sais être une soignante.

Je t’en supplie.

J’ai tellement envie d’y croire encore…

Commentaires

Vincent ARIN a dit…
Bravo pour ton courage, oui effectivement les troubles neurologiques centraux sans signes extérieurs de gravité sont souvent sous estimés par le personnel soignant.Et que dire de cette femme de 95 ans insuffisante cardiaque que des AS "zélées" obligeaient à marcher en la tirant par le bras hémiplégique donc douloureux, tout ça c'est peut-être à coté du temps dont le personnel dispose de moins en moins, pour éventuellement réfléchir et se poser des questions
Unknown a dit…
Ce n'est malheureusement qu'une petite maltraitance du quotidien... Tellement révoltant mais presque anodin au final, dans le sens où personne n'y prête attention. A part la victime bien sûr. Merci pour ce témoignage, et merci de ne pas t'habituer à ce genre de traitements!
Laurence a dit…
Oh punaise il y a des claques et des engueulades qui se perdent ... Tu as raison ... Écris une lettre
Anonyme a dit…
Oh oui, tellement de bassesses en ce bas monde des soignants... des préjugés à l'emporte pièce, des petite phrases assassines qui aussitôt dites sont oubliées de celui qui les a professées mais qui dans l'esprit restent à jamais gravées par celui qui les a reçues... Il existe, et c'est bien rare, des soignant avec une réelle empathie, comme ce professeur rencontré à Paris, qui après 25 ans d'errances et de maltraitances médicales a mis un mot sur tes maux, celui là même qui s'excuse de te recevoir tard, de t'avoir fait patienter, qui t'écoute et qui te demande comment tu peux vivre ainsi, qui s'indigne de te voir restée si longtemps sans soins. Alors là tu reprends foi en l'humanité... Ça existe... trop peu. Mais ça fait du bien.
Anonyme a dit…
Merci de ta révolte.
Je bosse en EHPAD, là aussi quand j'entends comme on parle aux déments, ça me tue !
Mme M., je vous ai dit y a 5 mn que ... (oui, mais Mme M., elle a pu de mémoire, même à 5 mn).
Mr M., sortez de cette chambre (oui, mais Mr M, il sait même pu ce que c'est une chambre ...)
Et tutti quanti ...