Dans la boîte
Never, ever
make mistakes
Be perfect. *
« Processus de professionnalisation ».
Bon, de toute façon, si elle est diplômée, c’est qu’elle va
y arriver non ?
Je suis encore presque lycéenne, toute jeune étudiante,
épuisée par la rude découverte du mythe P1 qui n’en est plus vraiment un. Mes
neurones sont encore un peu grillés par cette année de d’apprentissage à la
chaîne où la logique cède le pas au bachotage, à l’ingurgitation rangée de
connaissances à régurgiter en l’état, comprises et assimilées, ou pas.
J’aimerais cligner des paupières pour y voir un peu plus clair mais mes yeux
sont voilés. Dans trois ans, je serai diplômée. Professionnelle et responsable.
Adulte. Et seule.
Seule face à moi-même, ma conscience professionnelle –
comment sera-t-elle ? – seule face à mes décisions, mes réussites et mes
erreurs. Adulte. Plus de tuteur de stage pour me guider dans mes balbutiements
de jeune apprentie. Plus de tuteur pour qui mes erreurs font partie du jeu qui
va me construire. Responsable. Juste des confrères, conscients que je ne sais
pas tout mais qui par principe dans ce métier, vont me faire confiance.
Professionnelle.
Parce que je suis diplômée. Si j’ai eu mon diplôme, c’est
que je devrais pouvoir me débrouiller non ? Oui, ils me font confiance.
Sans peut-être savoir que j’aime apprendre, que je retiens vite, que je sais
bien classer dans de jolies cases mon savoir. Que j’enrubanne bien proprement
avant de partager, en échange d’une excellente note. Trace d’encre sur un
dossier de papier qui gomme un peu le poids de mon inexpérience, de ma
confiance en moi qui reste désespérément dans le négatif.
Oui on me fait confiance, sans savoir probablement, que je
suis incapable de bien évaluer un problème de dos ou de compter correctement
les vertèbres. C’est L5 ou L4 cette drôle de bosse là ? Encore moins de
soigner correctement. Et pourtant, je donne le change. Je sais désencombrer un bébé qui va bien, mais suis-je
capable de réagir en cas de problème chez bébé-qui-ne-va-pas-si-bien ?
Saurais-je m’arrêter à temps pour garder une balance bénéfice-risque
favorable ?
Oui, j’ai envie d’apprendre. Mais comment on apprend quand
on vous répond « t’en a bien vu un peu à l’école non ? »,
« tu fais doucement, ça devrait aller » ?
Alors, ce fameux diplôme en poche, j’ai commencé à
construire.
Oui, je connais. Oui, j’ai appris. Je ne connais pas trop
mais je vais me débrouiller et puis je vais faire des recherches. Quand j’étais
en libéral avant, j’en ai fait pas mal… En vrai pas vraiment mais j’ai beaucoup
appris avec eux, ça compte ?
Aspirer ? Pas de problème. Bronchiolite ? Oui je
maîtrise.
Sur les parois de ces murs que j’érige autour de moi, il y a
la silhouette d’une fille souriante, enjouée, motivée et sûre d’elle. Sûrement
plus proche de 25, 30 ans que de 20. Oui, oui. Professionnelle, consciencieuse,
appliquée.
Je donne le change, j’entretiens ma propre illusion.
En vrai, souvent, c’est vrai, oui, je maîtrise.
Même si dans
ma boîte je tremble de peur.
Et si je ne maîtrisais pas tant que ça ?
Ça va se voir. Il ne faut pas que ça se voit.
Reste forte. Be perfect.
Personne n’entre dans ma boîte, je m’y laisse même parfois
prendre au piège..
Je suis diplômée, j’ai appris à l’école. Je sais.
Never, ever
make mistakes
J’ai mon diplôme, je suis... Non, je ne suis pas
parfaite en vrai. Mais les autres doivent le croire. Je suis parfois faible
mais vous ne le voyez pas. Si vous ne le voyez pas, je continuerai à me croire
forte, pour mieux avancer.
Mais parfois, comme cette fois, je ne maîtrise pas.
Je fais de mon mieux, dehors je gère, dans ma boîte mon cœur
tourne à deux cent à l’heure, mais les choses s’empirent. Ma faute ? Je ne
sais pas.
Dans ma petite boîte, j’étouffe. Mon illusion vacille, trop dure à tenir. Mon refuge devient piège. La peur m'étrangle. Et si j’avais fait quelque chose de
mal ?
Si c’était de ma faute ?
Ce patient
polymalfoutu devait décompenser d’un moment à l’autre, avec ou sans mon aide. Il m'a fallu du temps pour le réaliser. Sur le moment, la culpabilité est violente, la remise en question douloureuse. J’ai envie de pleurer, les larmes me serrent la gorge. J'ai envie de gueuler que la vie est une chienne. Que merde, c'est trop pour la gamine que je suis, l’urgence
de la décompensation, la souffrance du patient, l’angoisse des proches, c’est
une trop grosse claque pour ma figure. Le regard anxieux mais confiant de sa famille me transperce « elle est diplômée, elle a l’air sûre d’elle, elle va le soulager ». Cette confiance pèse trop lourd sur mes épaules. Putain non, je ne ne suis pas sûre de moi, je ne maîtrise pas, cette urgence, cette détresse, ça me coupe le souffle. Je brûle de courir me cacher. Cette image nette qu’ils attendent, je leur
donne, en dessous, je suis déchirée.
La prison que je me suis forgée est solide. Je suis
seule, dans cette cage étroite, face à mes propres démons, j’ai mal dans mon
cœur.
Dans cette boîte, il y a une petite fille qui parfois
voudrait bien, comme avant, se réfugier dans les bras de son papa quand
vraiment ça ne va pas. Juste pour pleurer, dire « je ne sais pas »,
ou celui-là, je n’y arrive pas et qui n’ose pas. Qui veut rester forte, qui ne
veut pas craquer devant les autres, qui ne veut pas dire que c’est dur. Qui
ferme les yeux très fort pour oublier qu’elle a si peur de la mort, si peur de
la maladie, cette peur qui lui retourne l’estomac. Qui n’oublie jamais mais qui
ne le dit pas.
Parce qu’elle s’est mis dans la tête que quand c’est dur,
dans la cour des grands, on n’en parle pas.
“Never,
ever make mistakes
Be
perfect.”
Ce jour là, Biche a ouvert ses bras pour éponger cette
souffrance trop contenue qui détruisait mon équilibre. Peut-être au péril du
sien, elle n’a pas hésité une seule seconde quand moi je me noyais dans mon
angoisse.
Ma consoeur.
Comment te remercier ?
A voir, à lire. Pour avancer.
Commentaires
Bref, disais-je, tu sais quoi? Ben ton billet il est magnifique, voilà (ton gâteau aussi, oui ça tu le sais, j'ai pas encore osé essayer, de toute façon le mien sera jamais aussi bon, du coup je vois qu'une solution... faut que je revienne!!!) :-)
Merci pour cet article qui me rappelle que l'enfer... et bien c'est surtout pas les autres...... ;-)
A bientôt
@B: A peu près la même situation ici. J'ai crevé de jalousie devant le jeune médecin, tout calme, qui a annoncé ses directives, le teint frais, l'air reposé et qui est allé aussi sec faire un CR pour un autre patient. Moi j'étais échevelée, rouge, les yeux hagards, les genoux tremblotants. Et seule parce que trop fière, incapable d'appeler au secours pour mon état mental une fois la crise passée. Je retiens ta dernière phrase, très très juste.
@Ocarrina : J'ai eu la "chance" d'avoir un titulaire qui avait peu de temps, qui m'a involontairement permis de faire mes premières armes seule avec cette grosse contrepartie psychologique, cette maladie du "Bien faire". Quand tu ne pourras plus, tu auras peut-être trouvé d'autres sources de soutien comme moi je l'ai fait par le biais de Twitter.
Bonjour Leya,
je te l'avais promis un petit mot quand j'en aurais le temps
Bien sur que tu ne sais pas tout, d’ailleurs penses-tu qu’un jour ton apprentissage sera fini ?
J’ai presque vingt ans de métier et j’apprends tous les jours un peu plus. Tes patients se ressemblent et sont différents à la foi. Ils se ressemblent car ils collent chacun à un modèle identitaire et ils sont différents car ils sont des entités humaines différentes. Tu as grosso mollo 4 types de patients :
- Le malléable : tu pourrais lui couper une jambe puisque c’est pour sa santé et que le doc l’a dit, il ne bronchera pas
- Le réflexif : il te questionne sur sa pathologie, pourquoi vous faites ça, alors qu’est-ce que j’ai ? quelle est la suite ? Il se renseigne !
- Le participatif : il a remarqué que prendre son insuline à 8h00 au lieu de 7h00 ça lui permet d’être en forme toute la matinée. Il gère sa maladie.
- Et puis tu as l’EXPERT (le CHIANT), celui qui en sait plus que toi, plus que le DOC, il se renseigne sur tout et celui là tu ne peux pas le tromper. Quand tu ne sais pas il vaut mieux lui dire.
C’est comme ça, essai de faire cadrer ces modèles dès lundi à tes patients. Tu vas voir c’est très révélateur et amusant. Et là tu auras un avantage sur eux.
Je te rassure nous sommes tous passés par ce grand doute et incertitude devant l’ignorance ou plutôt la non réminiscence d’un savoir emmagasiné au plus profond de notre intellectuel. Le tout est de ne pas paniquer, fait marcher ta cervelle (elle est bien faite, d’ailleurs ton questionnement le prouve) dix minutes de réflexion, de bilan et tu trouveras toujours la solution.
Amitiés
Un fervent lecteur
je suis à Paris pour une réunion moi le MarseillaJe pourrai l’intituler « ça m’est arrivé un jour »
Je revenais d’un baptême avec femme et enfants, un dimanche après midi et une voix me disait « didier arrête toi voir Nathan tu passes devant sa maison ». Nathan était un petit patient que je suivais depuis sa naissance pour des problèmes complexes (Maladie orpheline, insuffisance cardiaque grave, infection nosocomiale acquise à l’hosto, âgé alors de cinq ans). Je n’étais pas vraiment inquiet de son état de santé mais peut être un peu trop investi dans le suivi de mes soins.
Je m’arrête devant son domicile, assurant à ma femme « je leur dis bonjour et on repart ».
Lorsque j’ai sonné et que Nathan n’est pas apparu dans seuil de la porte comme à son habitude; j’ai senti que quelque choses n’allait pas.
Sa maman rassurée de me voir me confiait : « vous tombez bien, Nathan est couché depuis ce matin et il bouge peu ».
Lorsque j’ai vu l’enfant, j’ai compris immédiatement qu’il faisait un malaise cardiaque. Il était blême, transpirant,… Tous les signes concordaient.
J’ai averti immédiatement le SAMU, 10 minutes nous séparaient de l’hôpital si proche et si loin à la fois. J’ai décidé d’appeler les pompiers car la caserne n’était qu’à quelques centaines de mètres. Ils sont arrivés très vite mais pas suffisamment assez. Nathan a fait un arrêt cardiaque, il est décédé dans mes bras malgré tous mes efforts pour le réanimer et le maintenir en vie.
J’ai mis du temps pour m’en « remettre » ; Mais j’ai été bien formé, j’aime mon métier et je l’ai toujours fais avec passion.
Nous ne sommes pas des super Héros, tu le vois bien sur TWITTER, nos angoisses et nos questions nous permettent d’échanger avec des DOC et de nombreux professionnels de santé.
Alors courage, tu es une bonne Kiné qui va murir avec le temps, le temps de l’expérience et de la maturation de ton savoir…
is je suis un peu triste...
@didier_MKDE
Je te livre une expérience qui m'a beaucoup marqué mais qui m'a rassuré après plusieurs années de réflexion.
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