Et j'étais bien
Il y a eu le diplôme. La fierté. Cette impression d’être au
bout de la falaise scolaire. C’était fini. J’étais arrivée au bout du chemin.
Devant, la vie. Partout.
Ce métier comme un coup de foudre. Vous avez peut-être la
chance, que j’ai eu, de connaître cette sensation. La kinésithérapie. La fierté. Les premiers patients, ceux
dont je me suis jurée de retenir le nom toute ma vie, parce que c’était les
premiers. Evidemment, j’ai oublié leurs noms, ça faisait trop de premières fois.
Celle ou petite fille, j’ouvrais mes bras à ma petite sœur pour la première
fois et que j’ai senti son cœur cogner contre le mien prenait déjà presque toute
la place. Les patients ne m’en voudront pas.
La fierté, la confiance débordante et fuyante à la fois. Et
puis la solitude.
La famille, les proches, peu familiarisés à nos démons, effrayés
ou désorientés. Les confrères qui continuent pour « l’alimentaire »,
le bébé avec une malformation cardiaque où « pour la kinésithérapie respiratoire,
il suffit d’aller doucement, ça devrait passer ». Ça devrait. Et si ça n’était
pas passé hein ? Les premiers « c’est dans la tête », « ne
les écoute pas trop, ne te laisse pas bouffer par leurs histoires, ils sont juste
feignants, ils aiment qu’on les plaignent ».
Et il y a eu Jaddo. Groupie un jour, groupie toujours. Les premiers
billets, la lecture, l’évidence. Je retrouvais le coup de foudre. Ce regard-là,
c’est celui que je voulais voir dans mon miroir. Et elle m’a emmenée, bien
malgré elle peut-être, vers mon futur chez-moi. Alors le premier tweet devait
être pour elle. La première réponse « Oh, chouette, une kiné ! ».
Je crois que si Beyonce m’avait remercié, ça m’aurait fait moins d’effet. Je n’aurais
pas couiné devant Beyonce.
C’était la première main tendue hors de la solitude. Et les
mains se sont multipliées. Dans le monde réel je me roulais dans l’isolement
mais ce n’était plus un drame. Parce que si là dehors, personne ne partageait
mon coup de foudre, je savais qu’ailleurs, c’était possible. Et que nous étions
nombreux.
Il y a eu les premières rencontres. Les premiers visages et
les premiers prénoms sur des avatars qui m’étaient déjà chers. Des rencontres interpro
dont je garde précieusement de longues séquences. Deux kinés dont moi. Et ma
Biche, la première de toutes, et puis Babeth. Parce que c’est Babeth. Nous
étions des bisounours. Et sur ce point, j’espère l’être restée.
J’avais toujours du mal à aller vers les gens dans la vraie
vie. Les mois passants, l’idée de me confronter à nouveau à mes confrères en
formation me devenait de plus en plus difficile. Une épreuve. J’étais à l’aise
dans mon bocal de docteurs pour lesquels je jouais volontiers le référent kiné,
beaucoup plus gênée à l’idée que des kinés plus compétents (coucou l’imposteur)
viennent m’y débusquer et m’en expulser.
Je rêvais de m’installer seule avec des généralistes, de
couper les ponts avec ma profession dont je ne comprenais pas ou plus les échos,
et puis faut dire que je n’avais pas ou plus vraiment envie de creuser.
« Si tu vois de la cellulite, n’hésite pas à leur
proposer de faire du LPG, à 50€ la séance, c’est bon pour le cabinet ».
Et puis. Et puis.
Et puis un. Et puis deux. Et quatre. Et quinze.
Ils étaient là. Ou ils sont arrivés. Il y avait la même
envie dans leurs mots. La même soif. Les mêmes questions. Et du mieux. Des
convictions, de la recherche, du solide, du scientifique. Pas pour l’esbrouffe
ou la gloire, pour le patient d’abord.
Il y a eu le tweet « C’est l’évènement de l’année, qui
en est ? ». Et le coup de folie, « Allez j’y vais ». (Venant de
la fille qui change de rayon quand elle reconnaît qqn au supermarché).
Et j’y suis allée. Nous étions une vingtaine. Des prénoms et
des visages inconnus mais qu’est-ce qu’un prénom quand on connaît déjà, derrière
l’écran, la moitié de leurs états d’âme, leur désespérante envie de bien faire
et d’avancer qui est souvent aussi la mienne. Des gens. De mon âge. Du même
métier. Du même coup de foudre peut-être, à différents degrés. Et j’étais bien.
La formation était fabuleuse, des billets suivront, si vous
devez pleurer c’est sur celui-là, après je passe du côté de la science. Là je
garde encore un peu au chaud, les étoiles dans les yeux, non je ne pleure
jamais, enfin les filles pleurent des paillettes c’est connu.
J’étais bien.
J’étais moi.
Il y avait aussi une place pour moi dans le monde réel. Elle
a probablement toujours été là. Il suffisait juste de la trouver. Ou d’aller la
chercher un peu plus loin.
C’est con hein.
Commentaires
Ce post est particulièrement beau et touchant.
J'ai eu les mêmes étoiles quand j'ai pratiqué mon métier d'éducatrice de jeunes enfants.
la même envie de bien faire, de faire passer les enfants avant tout le reste.
j'ai aussi eu la même non envie d'être avec des confrères, le dégout d'entendre leur mot, la volonté de ne pas de venir à mon tour aigrie.
je suis heureuse que vous ayez trouvé une place et surtout un peu plus de foi dans l'être humain dans l'être humain kiné!
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