De la médecine moderne. Ou Pas.
Libres variations d’une
kiné en colère
L’éducation thérapeutique du patient vise à aider les
patients à acquérir ou maintenir les compétences dont ils ont besoin pour gérer au mieux leur vie avec une maladie
chronique…
« Quelle maladie ? »
Elle a 64 ans. Diagnostic de BPCO posé en 1997.
Elle fait partie intégrante et de façon permanente de la
prise en charge du patient. Elle doit être multiprofessionnelle, interdisciplinaire et intersectorielle,
intégrer le travail en réseau…
« La BCPO. L’emphysème ? Oui la bronchite
chronique vous voulez dire ? Ah bah oui je connais, ça va. Mais
pourquoi vous voudriez que je fasse de la kiné ? Le médecin ne m’en a pas
parlé »
… Elle
est un processus permanent, qui est
adapté à l’évolution de la maladie et au mode de vie du patient ; elle fait
partie de la prise en charge à long terme…
« Aaaaaah la bronchite ? Oui enfin c’est pas une
vraie maladie, je suis fragile des bronches depuis ma pneumonie que j’ai faite
en 1939, j’avais 2 ans, ma mère a cru que j’allais mourir. Bon après ça a été
et puis j’ai fumé, beaucoup, mais vous savez, c’était l’époque, on ne savait
pas trop. Voilà, maintenant avec la vieuture, tous les hivers, j’ai le droit à
une bonne crève bien cognée, je crache vert, je reste deux ou trois jours à l’hôpital
et puis je rentre. Oui, je suis un peu essoufflé mais je ne suis plus jeune
hein. Fragile des bronches je vous dis. Mais non, je ne suis pas malade,
voyons. »
Il a 76 ans. C’est sa quatrième détresse respiratoire aigüe.
Il est diagnostiqué BPCO depuis 8 ans.
…Doit permettre au patient d’Impliquer son entourage dans
la gestion de la maladie, des traitements et des répercussions qui en
découlent…
« Dites, le docteur a dit
que ce n’était qu’une bronchite , vous croyez qu’il va rester longtemps à l’hôpital ? »
Oui. S’il arrive à lever cette
monstrueuse atélectasie sur probable pneumopathie d’inhalation et à respirer
sans machine.
… être scientifiquement fondée
(recommandations professionnelles, littérature scientifique
pertinente, consensus professionnel)
et enrichie par les retours d’expérience des patients
et de leurs proches pour ce qui
est du contenu et des ressources éducatives…
« Monsieur, quand on n’a plus de poumons, il faut
respirer avec le ventre »
- Il ne savait pas que ses poumons sont rongés par l’emphysème.
- C’est dans quel cours de l’IFSI qu’on apprend ça ?
- Y-a-t-il des études qui le démontrent
- Quand on ne sait pas tout, ON FERME SA GUEULE
… Etre centrée sur le patient : intérêt porté à la personne dans son
ensemble, prise de décision partagée, respect des préférences …
Elle doit, permettre au patient d’acquérir des
compétences de soin pour prévenir des complications évitables, …
« Comment vous gérez au jour
le jour ? »
« Gérer quoi ? »
Il est suivi à domicile depuis des années.
Sort à peine de l’hôpital après une énième exacerbation
… Mettre en oeuvre des
modifications à son mode de vie (équilibre diététique, activité physique,
etc.), …
« Vous vous sentez faible, c’est normal. Chaque
hospitalisation puise dans vos ressources, ressources que vous devez entretenir
au jour le jour. L’exercice physique quotidien même à petite dose est essentiel
pour limiter au mieux les effets de la maladie … »
« Vous vous foutez de moi ? Dix ans, trois
hospitalisations, pourquoi vous êtes la première à m’en parler ? »
…Prendre
en compte les résultats d’une autosurveillance, d’une automesure, adapter des
doses de médicaments, initier un autotraitement…
L’interne « c’est de sa faute, si elle arrêtait de
fumer aussi ».
Elle a 33 ans. Hospitalisée en réa pour la deuxième fois
pour crise d’asthme grave jusqu’au coma cette fois-ci. Ne comprend pas bien sa
pathologie, « en dehors des crises, ça va, je ne suis pas vraiment malade
en fait », connaît mal les prodromes évocateurs de crises et la conduite à
tenir. « On m’a dit qu’il fallait que j’arrête, y a autre
chose ? ».
Oui. Bordayl. Oui. Action-Réaction. Crise-15-Urgences-Réa.
Et on laisse couler. C’est dépassé. Et pourtant personne pour trouver ça louche
qu’une jeune femme avec un très bon niveau d’études passe deux fois en réa pour
une pathologie respi chronique qu’on commence à bien connaître depuis le temps
qui aurait du pouvoir alerter et être prise en charge correctement avant de
tomber dans le coma. Non ?
Partager le savoir est-ce partager le pouvoir ?
Manifestement, certains tiennent trop à leur illusion de
pouvoir pour oser partager ne serait-ce qu’une once de leur savoir si chèrement
acquis.
Je ne suis pas crachologue ou glaviothérapeute. Le
désencombrement n’est qu’un dixième des enjeux de la prise en charge en
kinésithérapie respiratoire. C’est d’une telle évidence pour moi que je tombe
de haut, de très haut quand je réalise combien cette notion est peu partagée par
le reste du corps médical.
Moi, du haut de mes couettes empruntées à Jaddo, le pouvoir
je m’en tape. A 27 piges ascendant 16, sans l’once d’un voile de barbe sur les joues, une blouse élimée et trop
grande, autant vous dire que l’autorité naturelle chez moi avoisine le zéro.
Je n’ai aucun sentiment de propriété pour les notions qu’on
m’a inculquées. Le patient en face de moi, je le respecte, sur un même pied
d’égalité. Quand je consulte (on est égaux certes mais rien n’empêche de se la péter
hein), je dispose d’un domaine de compétence spécifique qui peut lui être utile
sur la voie de la guérison. Je partage. Certains ne veulent pas savoir. Alors
je m’arrête au minimum syndical. D’autres se complaisent à étancher leur soif
de savoir avec une diginité majestueuse dans leur blouse d’hôpital baillante,
une kiné assise d’une fesse sur un coin de leur couverture élimée, l’autre en
équilibre précaire sur la barrière.
J’aimerais aller plus loin dans cette démarche
« d’éducation » ou en tout cas de partage. Parce qu’en dépit de
toutes les certitudes de la médecine, moi (d’un narcissisme ultime je sais) je
crois qu’un patient qui comprend, à qui ON permet de comprendre, nous qui
détenons ce savoir vecteur de cet hypothétique pouvoir, c’est un patient avec
qui on pourra faire du bon travail. Ensemble.
J’aimerais aller plus loin dans cette démarche. Mais je ne
peux pas. Car quand le médecin – saint parmi les saints – ne dit rien ou dit
des conneries aux patients que je vois ensuite, c’est la merde.
Je ne peux pas annoncer une pathologie chronique pour
laquelle on n’a pas jugé
nécessaire de partager le diagnostic médical au patient.
Je ne peux pas leur dire que oui je fais différemment parce
que je pense que le kiné d’avant par ignorance ou appât du gain a négligé 90%
du problème et qu’il faut tout reprendre à zéro.
J’esquive. Je feinte. Et je me frustre.
Comme mes étudiants qui disent au diplôme d’état que
« certes ils ont fait des erreurs mais qu’à l’époque de leur stage ils
n’avaient pas toutes les compétences nécessaires pour mener à bien cette prise
en charge, qu’ils ont beaucoup appris depuis et qu’évidemment dans ce fabuleux
métier on ne cesse d’apprendre » quand tout le monde sait qu’au
fond, ils ont eu un stage de merde avec un tuteur de merde qui fait de la
merde depuis 30 ans sans se poser de questions, qu’il leur a dit de faire comme
ça et pas autrement et qu’il l’a dit d’un ton si péremptoire que forcément ça
devait être la vérité (étudiants, on corrèle d’emblée et à tort le niveau de
preuve de chaque affirmation à l’assurance et l’arrogance du tuteur) que
maintenant qu’ils sont dans la merde jusqu’au cou, voyons comment ils vont s’en
sortir dans le respect de la déontologie et de la sacro-sainte confraternité.
Le cul. Les ronces.
Commentaires
Les médecins qui n’expliquent pas (professeur, spécialiste, généraliste, interne …) ça existe c’est vrai. Mais pas tout le monde. Il y a aussi les patients qui n’écoutent rien, qui ne veulent pas savoir, qui sont dans le déni. Ou peut être est ce juste dû à l’hypoxie-hypercapnie, on ne sait pas …
Le patient sédentaire, qui fume toujours, qui ne fait jamais d’exercice physique, avec une BPCO cognée, des stents … qu’en fait on ? Et c’est pas faute de lui rappeler régulièrement qu’il joue avec le feu.
Sur la situation de la jeune asthmatique fumeuse (je ne connais pas le cas pour donner un avis objectif). C’est évidemment simpliste de dire « c’est de sa faute » mais c’est pas complètement faux. Je n’ai pas d’indulgence pour les patients jeunes et fumeurs. Je ne dis pas que c’est facile de se sevrer une fois qu’on a commencé, mais quand on a eu des ennuis sérieux avec le tabac, persister c’est masochiste ou stupide. Ca peut aussi être révélateur d’un mal-être, d’un équivalent dépressif voire d’un trouble de personnalité. Pour autant on ne peut pas totalement déresponsabiliser ces patients sur ce comportement là. Je suis plus tolérant avec les « vieux » patients qui fumant depuis des années, ont énormément de difficultés à s’arrêter, n’ont pas eu de leur temps les messages de prévention, et qui ne voient parfois pas de réel gain en espérance de vie en meilleure santé. Mais un jeune qui clope actuellement, ne peut pas faire l’autruche en disant qu’il ne savait pas que c’était mauvais pour sa santé.
L’éducation thérapeutique c’est une belle idée mais il ne faut pas avoir de faux espoirs là dedans. Le patient qui veut bien s’impliquer le fera déjà spontanément, si on l’appuie dans cette démarche ça lui sera bénéfique. Celui qui ne veut pas, on ne le « récupèrera » pas par de bonnes paroles ou en passant 3 fois plus de temps auprès de lui.
Je suis totalement d'accord avec ton analyse.
J'évoque ici surtout des cas où l'information de base n'avait pas été fournie au patient ou que personne ne s'était donné la peine de vérifier la bonne compréhension des informations par le patient voir sans même donner un diagnostic. Cette position de porte-à-faux chez des patients qui n'ont pas cs d'avoir une maladie chronique me pose un vrai problème éthique et de prise en charge.
Dans mon métier, on n'a jamais fait de miracle sur un patient qui ne voulait pas. Aller à l'encontre de la volonté d'un patient, en kiné, c'est aller l'échec. D'où ma position sur l'éducation, si on ne se donne pas les moyens pour qu'ils comprennent et se prennent en charge, on est vecteurs de perte de chances.
Si l'information exhaustive est délivrée et que malgré tout le patient refuse de poursuivre, non on ne le récupérera pas. Mais on ne pourra se reprocher de ne pas avoir fait le minimum pour. Et l'ETP atteindra ici ses limites.
Merci pour ton commentaire.
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