Ces petits riens
Je râle, je râle, je sais. Et
j’en oublie l’essentiel sur ce blog. Ces petites choses qui font de mon métier
quelque chose d’exceptionnel. Être kiné, ce n’est pas forcément exercer le
meilleur métier du monde. Parce qu’il y a un meilleur métier du monde propre à
chacun.
Je ne sauve pas de vies. Quand je
dis que je suis kiné, les gens ne restent pas bouche-bées, hyper-respectueux
comme devant un médecin qui n’aurait pas le profil type. Non, souvent, on me
tend une fesse en disant « ça me fait penser, j’ai mal, là ». C’est nettement moins glamour, je sais.
Je ne fais pas de grands
miracles. Mais tous les jours, j’en fais plein, de tous petits mais plein quand
même. Être kiné, ça vous change un homme. Ou une gamine en l’occurrence. Les vieilles dames dont je m'occupe ne courent pas le marathon, mais jour après jour, on avance. Un pas,
deux, puis dix, vingt. Les escaliers et puis le grand jour, le retour, fort en émotions.
Mon patient paraplégique ne
marchera plus, même si je claque des doigts en y croyant très fort. Mais si lui
et moi on y croit, il devrait pouvoir se déplacer tout seul. C’est con hein, on
ne parle pas de ça dans les journaux et pourtant, pourtant, pour lui, c’est un
miracle.
Le progrès ce n’est pas QUE
traiter une super tumeur avec un super laser ou dégommer la cellulite à
3€/minutes. Faire sourire un patient triste, c'est progresser, beaucoup. J’ai commencé en espérant « sauver » des vies, j’aurais
pu attendre longtemps. La frustration s’installe vite et un kiné frustré, ça ne
fait pas beaucoup de merveilles.
Au début, je mentais. Parce que
s’effondrer après trois pas, oui Madame, ça craint, enfin c’est ce que je
croyais. Pour moi, qui suis valide et gravement hypochondriaque. Et puis j’ai
grandi, j’ai appris. Trois pas, pour moi ce n’est rien. Mais trois pas, à 7,7g/l d’hémoglobine, 95 ans, 72h d’alitement et une prothèse de hanche, c’est
un miracle. Trois pas, c’est mieux que les deux d’hier. Moins bien que les dix
de dimanche mais vous avez fait une embolie pulmonaire entre temps. Une petite
hein !
La dernière photo de cette image se veut dégradante. Pour moi, elle ne l'est pas. Parce que je sais qu'un monsieur qui marche entre deux kinés, c'est un monsieur qui lutte. Pour faire des miracles.
Je ne suis pas très douée en
technique pure. La P1 m’a grillé un morceau de l’esprit, ma mémoire est plus
sélective, quand je ne pratique pas, j’oublie. Il y a beaucoup de choses que je
ne sais pas faire. Je suis incapable de traiter correctement une tendinopathie,
même une petite. J’ai scrupuleusement oublié l’anatomie des spinaux profonds et
la biomécanique de l’épaule. Je ne sais plus si ça sert à quelque chose de
travailler les volumes sur un patient trachéotomisé en VACI. Parfois j’ai honte
et en même temps j’ai découvert autre chose, l’essentiel à mon goût. L’humain.
Voir ce bébé téter goulûment après la séance de kiné respiratoire et le regard éperdument reconnaissant de sa maman, primipare et terriblement angoissée de n’avoir pu le nourrir « comme il faut » ces trois derniers jours.
Voir ce bébé téter goulûment après la séance de kiné respiratoire et le regard éperdument reconnaissant de sa maman, primipare et terriblement angoissée de n’avoir pu le nourrir « comme il faut » ces trois derniers jours.
Rencontrer André 94 ans, 100%
autonome à domicile qui ne regrette pas d’avoir couru pour rattraper le chat
mais qui se serait bien passé de cette « petite chute » avec fracture
de cheville.
Prendre le temps de dire oui à un
patient en fin de vie dont les enfants se demandent « s’il ne pourrait pas avoir un petit
massage si je ne suis pas trop occupé bien sûr, parce que dans le cou, ça fait
un peu mal ». Le faire de bon cœur, sereinement.
Se battre avec Marjorie 32 ans
pour qu’elle puisse enfin se passer du bassin, lui dire que je la comprend et
de ne pas pleurer quand enfin elle y parvient.
Regarder Robert droit dans les
yeux et lui dire que je ne le félicite pas juste pour lui faire plaisir, que je
ne mens jamais moi monsieur et qu’après trois mois de réanimation, ces dix-huit
pas que vous venez de faire sont extraordinaires.
Sentir monter une petite larme
quand Gaétan, 30 ans, SEP très évoluée reçoit son tout premier fauteuil
électrique, se débrouille comme un chef avec le joystick et sors respirer l’air
du dehors pour la première fois depuis 6 mois.
Dire à Sandrine qu’on va aller
marcher avec des chaussons en plastique parce qu’à J3 d’une prothèse totale de
genou, ses escarpins à talons sont quelque peu inappropriés.
Admirer Bernard 84 ans me
ressortir à l’identique un lundi matin tous les exercices montrés le vendredi
précédent et à travailler dans le week-end.
Montrer à Angéline combien le
couloir de l’hôpital est bien plus beau quand on s’y promène à pied qu’après
trois semaines de trimballage intempestif en lit.
Chanter un vieux refrain dans le
couloir et m’entendre dire combien c’est bon de voir enfin quelqu’un de bonne
humeur dans cet hôpital.
To be continued…
Commentaires
@euphorite
J'espère que tu es épanouie dans ton travail, pour moi c'est grâce à tout ça que ça va!
Plusieurs années après, j'ai commencé à avoir des problèmes dorsaux jusqu'à ne plus pouvoir rester debout plus de cinq minutes. Je me décide à voir un osthéo (la connerie initiale ayant diminuée) qui m'envoie vers une kiné.
Elle n'avait pas non plus le profil que je pouvais me faire de ce métier, elle ne m'a pas sauvé la vie... Par contre, elle l'a bien arrangée après un paquet de séance. Ce que je ne pensais pas possible.
Il n'y a pas de meilleur métier au monde, certes, mais il y a des métiers au service des autres qui sont tout de même à mettre au dessus du pavé.
C'était l'instant ma-vie.com.
Bravo aux hospitaliers donc!
Bises :-)
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