Ah ouais, t'es kiné toi ?
J’avoue.
Quand j’ai choisi de faire ce métier dont je ne connaissais
que peu de choses, ce n’était pas uniquement pour de bonnes raisons.
D’abord, il y avait ce beau gosse que j’avais réussi à
coincer, inexplicablement, dans mes filets d’adolescente intello, ni belle, ni
rebelle, acnéique et aux dents de travers. Tellement sexy qu’il était
impensable que je puisse me le garder juste pour moi. Moi et mon boulet de pas-confiance de quatre tonnes suspendu
à mes chevilles.
Mais si j’apprenais à masser comme une déesse, peut-être
que…
Dans les réunions de famille, ras-le-bol de faire semblant
de m’extasier sur le cousin du cousin, ingénieur qui vient de s’acheter une
voiture. C’est quoi un ingénieur d’abord ? Moi, je voulais avoir la classe. La vraie. Poser mes mains
de fée et guérir, prévenir ou rassurer, même le dimanche après trois verres de
champagne. Soulager le tour de rein de Tatie Danielle, apprendre à une cousine
à moucher son gosse pour qu’il dorme bien. La classe quoi.
Finalement, les choses se sont avérées bien plus complexes.
Le beau gosse est resté dans mes filets. Bizarrement. Et il
s’accroche. Même si j’enfile rarement mon costume de masseuse. Parce qu’après
avoir massé toute la journée en libéral, c’est moi qui ai les muscles noués. Et
qu’à l’hôpital, à force de tirer à bout de bras des gens fatigués ou pas
motivés, mon dos souffre. Et puis, zut, lui bosse dans un bureau, c’est moi et
mes petits bras de poulette qui faisons un métier physique. Du coup, je joue les
cobayes pour que Monsieur et ses mains de fée rattrapent leur retard question
massage.
Oui, j’ai honte. Au moins un petit peu.
Question classe, c’est mitigé.
Les gens sont souvent surpris de savoir que je suis kiné.
Fille, maigrichonne, pas bien grande et pas très sociable, on ne peut pas dire que je colle au
profil. Hypochondriaque en plus. La loose.
Ça j’aime.
Mais mon potentiel classe s’effondre à la seconde suivante.
« Ah, t’es kiné, tiens, j’ai mal au dos/à la fesse/au
gros orteil, tu peux pas faire quelque chose pour moi ». Suivi d’un bon
gros rire gras et d’un regard de connivence entre mecs relou. Des coursiers par exemple. Au pif hein !
Et là, ça craint en fait.
Du coup, je fuis.
Et je n’ai plus la classe.
En famille, on me sollicite souvent, très souvent.
Et c’est la merde. Mais j’ai la classe. Enfin j’essaie.
Ma mère au téléphone : « J’ai mal sur le dessous
du pied après le sport, oui là aaaaaieeee » [Mon père qui se charge de
l’examen palpatoire] « Et ça a commencé quand ? » « Euh,
là ! » Help.
Mon père, à d’autres devant moi : « J’ai financé
les études de ma fille et elle ne veut même pas s’occuper de mon dos, c’est
ingrat les enfants ». L’ingrate que je suis a essayé une ou deux fois.
L’horreur totale. Il a le syndrome MGEN. Je n’ai pas le droit à trois minutes
de silence. Il a déjà tout réfléchi, tout diagnostiqué, « plus haut, plus
bas, plus profond », « c’est pas exactement cette zone là » et
« c’est bon, ça ira, merci » avec un petit cinglant « ah ça m’a
réveillé un peu ce que tu m’as fait, j’ai mal là » le lendemain. Ou le
summum, le sérenissime « tu te rappelles, y a deux ans, en vacances, sur
la plage, tu avais travaillé un peu mon épaule, ça m’avait bien soulagé, tu ne
veux pas refaire pareil ? » Help.
Il y a ma grand-mère qui me colle le nez sur le genou tout
cagneux de mon grand-père qui a mal depuis qu’il a passé une après-midi à
genoux dans la terre à jardiner. Ma tante qui a emmené son vaccin au repas de
famille et me demande si je peux pas lui faire son intra-musculaire dans la
fesse. « Tu bosses dans le médical non ? ». Help.
Finalement, avoir la classe en famille c’est lourd à porter.
Ils ne pourraient pas avoir besoin de moi pour des trucs où
je suis douée? Ça tombe toujours sur des domaines où je suis nulle. Mais franchement
nulle. Évidemment. Le dos. Du coup, je me renferme comme une coquille, je dis qu’il
faut amputer comme Biche me l’a conseillé et je suis de moins en moins
sollicitée.
Pas si classe en fait.
J’ai envie d’étrangler le brancardier qui se plie en deux en
se tenant les lombaires et en gémissant quand il passe à côté de moi, trop
souvent ces derniers temps et qui se marre bien.
J’ai envie de taper le chef de service qui me teste en
réclamant des papouilles sur les épaules.
Et je suis dégoûtée car je n’ai même pas eu de réduction
chez le boulanger après l’avoir écouté – l’air très concentré – me raconter ses
problèmes de dos.
Tant pis pour la classe.
Être reconnue au boulot pour mon investissement me suffira.
Commentaires
Je suis électricien et donc forcément sollicités par des "amis d'amis", juste pour prendre un verre...
Alors j'ai trouvé la parade : mes fusibles et mes prises de courant sont d'un modèle industriel donc monstrueux et ma trousse à outil est restée au boulot.
Ca marche bien et je suis moins invité...
Et comme je bois pas, ça m'arrange.
je retiens l'idée de répondre "faut énucléer" si on m'embête
faudrait faire un post sur le sd MGEN mais c'est un coup à se faire pourir son blog :-)
Il paraît que ça refroidit pas mal les sollicitations.
Rho, pourquoi pourrir ? Le syndrôme MGEN ne concerne pas QUE des profs ;) Faut juste ménager les sensibilités !
Je devrais peut-être dire que je suis spécialisée dans la rééducation de l'incontinence anale. ça en ferait taire pas mal probablement.
En fin de formation on nous donnait une liste de patients "à risque" de faire n'importe quoi...on y retrouvait les alcoolo, les toxico, les handicaps mentaux de toutes sortes et...les profs de l'education nationale...
Perso j'avais trouvé ça tres bon et tres juste aux vues de mon experience...
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